Fuir son pays d’origine et être ressortissant d’un pays dit « sûr » : la double peine.
En application de l’article L. 722-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), le Conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) doit examiner « régulièrement » la situation dans les pays considérés comme des pays d’origine sûrs, inscrire ou radier un pays de la liste les pays au regard de l’évolution de la situation.
La Convention de Genève et la Directive européenne sur les procédures d’asile considèrent qu’un pays est sûr lorsqu’un système démocratique y est en place et que, de façon générale et permanente il n’existe pas de persécution, pas de torture ou de traitement inhumains ou dégradants, pas de menace de violence et pas de conflit armé.
Cette notion a été introduite par la loi du 10 décembre 2003 relative au droit d'asile suite à la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative aux procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. En conséquence, une personne originaire d'un de ces pays ne peut bénéficier d'une admission sur le territoire au titre de l'asile (elle n'obtiendra donc pas d'Autorisation provisoire de séjour (APS), ni de récépissé). Et la Préfecture saisit l'OFPRA en procédure prioritaire : l’Office doit alors examiner la demande d'asile dans un délai de 15 jours (ou de 96 h si la personne se trouve en centre de rétention).
Réuni le 5 novembre 2019 notamment pour faire suite à « des demandes de révision émanant de diverses associations » en raison des risques liés aux orientations sexuelles, le Conseil a toutefois décidé de ne pas apporter de modification à cette liste, adoptée par l’administration française, comme 11 autres pays de l’Union européenne.
La loi asile et immigration de 2018 avait néanmoins ajouté à l’article L. 722-1 du CESEDA le passage sur l’orientation sexuelle, permettant en théorie d’exclure de la liste des pays d’origine sûrs les Etats pratiquant des politiques homophobes.
Figurent donc toujours sur cette liste, révisée pour la dernière fois le 9 octobre 2015, 16 pays : l’Albanie, l’Arménie, le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le Cap-Vert, la Géorgie, le Ghana, l’Inde, le Kosovo, l’ancienne République yougoslave de Macédoine, l’Ile Maurice, la Moldavie, la Mongolie, le Monténégro, le Sénégal et la Serbie.
Journal Officiel – 17 octobre 2015
Être ressortissant de l’un de ces 16 pays emporte des conséquences majeures dans le traitement de sa demande d’asile. Ainsi, un demandeur d’asile ressortissant de l’un des pays sûrs se verra placer en procédure prioritaire lors du dépôt de sa demande d’asile. Cela signifie notamment que tous les délais de procédure seront restreints et ramenés à leur minima, tant pour le dépôt de la demande de protection devant l’administration, que pour la procédure d’appel devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Devant la CNDA, les délais de convocation seront réduits (article R. 733-19 CESEDA), l’audience se tiendra à juge unique et le délibéré ramené à 7 jours au lieu de 3 semaines.
En pratique, la CNDA rendra de nombreuses ordonnances pour éviter d’audiencer les affaires et « vider les stocks ». Car elle peut « par ordonnance, régler les affaires dont la nature ne justifie pas l’intervention de l’une des formations (de jugement) » (article L. 733-2 du CESEDA), en considérant que « les recours qui ne représentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de l’OFPRA » (article R. 733-4, 5° du CESEDA). Ces ordonnances ne sont pas susceptibles d'appel. Elles représentent plus de 25% des décisions rendues à ce jour. Elles touchent de plein fouet les demandeurs d’asile en provenance de pays sûrs, notamment les Albanais et les Géorgiens et ce, malgré la pertinence de nombre de ces dossiers, dont les récits font ressortir la gravité des mauvais traitements infligés aux demandeurs dans leur pays d’origine et l’incapacité de leurs autorités à les protéger.
Les dernières réformes portant sur le droit d’asile n’ont eu de cesse d’accélérer les procédures. Cette accélération permanente rend plus difficile la tâche du demandeur d’asile, qui aura fui son pays en urgence, sans pouvoir rassembler à temps les documents essentiels et sans bénéficier d’un temps nécessaire à leur communication avant l’examen de leurs demandes de protection. Cette accélération touche les ressortissants des pays dits « sûrs » mais aussi d’autres, de plus en plus nombreux, tel que fixé par la dernière loi n°2018-778 du 10 septembre 2018, applicable dès le 1er janvier 2019.
Ainsi, est placée en procédure accélérée, sur décision du Préfet : la personne qui sollicite le réexamen de sa demande d’asile, qui dissimule son identité, qui dépose sa demande d’asile tardivement soit après 90 jours de maintien sur le territoire français, sans « raison légitime », qui fait une demande déposée pour faire obstacle à une mesure d’éloignement, qui présente de faux documents ou dissimule des informations sur son identité ou son entrée en France « afin d’induire en erreur l’administration », qui refuse le relevé de ses empreintes sur le fichier « EURODAC », ou qui « présente une menace grave à l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’état » (article L. 723-2 du CESEDA).
Au fil du temps, cette liste s’est accrue. Et porte atteinte à la constitutionnalité reconnue au droit d’asile et à l’engagement international pris par la France alors qu’elle ratifiait la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés.